Colloque du département Formation en Situation Professionnelle, Institut de Psychologie, Université Lumière-Lyon 2
3-4 juin 2016 Lyon (France)

Argument du colloque

Violence contre la pensée, souffrance dans la démocratie

 

La démocratie est fondée sur l’idée que la parole (donc la pensée) de chaque citoyen vaut celle de tous les autres, et par là vise à garantir la possibilité de penser. La pensée impossible, les interdits de penser, font pourtant retour en démocratie sous de multiples formes, produisant des souffrances, qui elles-mêmes produisent de la violence, qui attaque à son tour la démocratie… Et ceci alors même que le fonctionnement démocratique travaille à autoriser, encourager, la pensée comme antidote à la violence.

De même, la démocratie repose sur l’exercice du débat, par opposition au combat, ce qui implique la possibilité, à la fois, d’une identification aux points de vue d’autrui et d’une conflictualité interne, inséparable d’une pensée libre. Mais d’un autre côté, l’exercice de la démocratie implique des regroupements, des partis pris, qui peuvent faire le terreau des projections et des clivages.

Il y a là une tension continue, qui sera la question centrale de ce colloque : comment fonctionne, dans la subjectivité de chacun-e et dans les espaces sociaux que sont la famille, les organisations, la politique et la culture, la tension entre liberté démocratique de penser et attaques contre la pensée ?

Nous accorderons une importance toute particulière à la place, dans cette tension, des « praticiens du social », tous ceux dont les pratiques font face directement à ce qui vient attaquer l’ordre symbolique, trame de notre conception du monde, et plus précisément contribuent à le reconstituer, alors qu’il est sans cesse attaqué de toutes part : c’est‑à‑dire les psychologues bien sûr, mais plus largement tous ceux que leur mission met au contact des plus précaires d’une part, des décideurs d’autre part.

Les propositions de communication attendues traiteront la question soit d’un point de vue psychologique, avec les instruments complémentaires de la métapsychologie psychanalytique et de la psychologie sociale, soit à partir de disciplines connexes dont l’apport est indispensable : histoire, sociologie, anthropologie, sciences politiques, droit, neurosciences. Nous privilégierons le dialogue pluridisciplinaire autant qu’il est possible.

Seront particulièrement bienvenues les études cliniques ou psychosociologiques portant sur des sujets ou des organisations ainsi que les analyses d’objets et événements socio-culturels de toute sorte (mouvement social, film, presse, littérature, art, etc.).

Nous souhaitons que ce colloque soit un lieu de partage entre les élaborations des chercheurs et universitaires confirmés et des doctorants ou « étudiants-chercheurs » et les réflexions des praticiens.

Les questions traitées pourront concerner :

Les mutations sociétales et leurs effets sur les sujets. Notre société suit une courbe dont la source se trouve dans le mouvement des Lumières, à travers, d’une part, la séparation du religieux et du politique, et, d’autre part, la promesse pour chacun d’un destin individuel. Nous voyons chaque jour combien il est coûteux, psychiquement, de vivre dans une société laïque qui, renvoyant la croyance à la sphère privée, se désolidarise de ces mécanismes de défense que Freud n’hésitait pas à qualifier d’illusions et même de « poison pour l’esprit » ; pourtant, non seulement la liberté de croire, et de s’associer pour partager des croyances, est inséparable de la démocratie, mais encore il faut distinguer radicalement la croyance du fanatisme, jusque dans les monothéismes : il y a même des croyants démocrates ! La revendication d’un destin individuel, quant à elle, se décline de la question de la liberté (liberté de choisir son métier et son objet d’amour, de poursuivre ou non une grossesse, de décider de notre propre prise en charge médicale, par exemple) à l’idée qu’on « aurait droit », que les institutions nous devraient de satisfaire nos désirs, sur simple demande. Les débats sur les différentes acceptions de la laïcité et ceux qui portent sur les questions de choix individuel vital et identitaire (procréation, famille, fin de vie, etc.) ont en commun de soulever la question de la référence éthique, de sa construction dans la vie du sujet, de sa portée structurante.

La diversité. La démocratie a inventé les congés payés, donc le tourisme, donc la possibilité d’aller ailleurs, à la rencontre d’un « autrement »… et les chaînes d’hôtellerie où les chambres et les petits déjeuners sont semblables d’un bout de la planète à l’autre. Par un surprenant paradoxe, la liberté conquise a été mise au service d’une terrifiante uniformisation. Les plantes, les animaux, les modes de vie les plus rares des groupes humains, disparaissent inexorablement. En démocratie, l’action des grandes entreprises qui dominent le fonctionnement libéral marchand est aussi radicalement abrasante qu’ailleurs celle des monothéismes militants ou des grandes dictures contemporaines. Or, comment penser quand la diversité, la différence, invoquée de façon récurrente dans notre société, est au fond tellement contre-investie ? Ou, pour le dire autrement, comment penser Thanatos pour cultiver la vie ?

Les inégalités sociales et leurs effets psychiques.Dans un monde où 1% des humains se partagent 50% des richesses, on peut envisager que la loi suprême est celle du marché, ou même, comme le disent certains sociologues, que la violence des riches organise une immense « casse sociale », et ceci dans le plus grand aveuglement de presque tous. Occidentaux, nous sommes à la fois riches et pauvres, coupables et victimes, riches quand meurent à nos portes ceux qui fuient une misère radicale, pauvres quand miroite devant nous le mirage de tous ces biens supposés nous rendre enfin narcissiquement complets et comblés. Quelles défenses mobilisons-nous devant cette misère qui nous menace tous, réellement et fantasmatiquement ? Comment oscillons-nous entre l’idéal républicain de fraternité et le clivage ?

L’égalité, c’est aussi le principe selon lequel nous sommes tou-te-s également protégés par l’interdit du meurtre, nous avons un droit égal à la citoyenneté, "sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation » (1948). Or, d’une part ce principe est constamment bafoué, et les discriminations qui en résultent ont des effets psychiques particulièrement délétères, et d’autre part, inversement, l’idée d’égalité citoyenne se dévoie souvent, de façon défensive, en une rage envieuse qui conduit à un fantasme de nivellement. Nous aurons à travailler cette dynamique, au coeur des revendications exprimées aujourd’hui par les groupes minoritaires, discriminés ou stigmatisés pour diverses raisons, et tout autant, des réactions conservatrices que ces revendications suscitent.

La barbarie parmi et en nous. L’idée même de citoyenneté, typiquement démocratique, sécrète celle de la barbarie, puisque par définition le barbare c’est l’étranger, un alter assigné à moins de civilisation, moins d’humanité même, que le citoyen, celui sur lequel se projettent toute la cruauté et la destructivité contre laquelle la démocratie lutte en permanence. Or, outre que cet étranger privé de citoyenneté est tout proche (les femmes pendant bien longtemps, les enfants mineurs aujourd’hui, les très âgés, les fous…), Harendt, étudiant Eichmann, nous a rappelé que le barbare, c’est nous-mêmes, le voisin à l’allure inoffensive et familière, croisé chaque jour à la même heure et salué distraitement, le fonctionnaire terne et discret, la dame qui vend des fromages au marché, nous-mêmes en somme… La civilisation est une conquête sans fin, toujours au bord de la chute, et Freud (1915) observait que nombre d’entre nous vivons « au-dessus de [nos] moyens psychiques ». Comment donc être citoyen-ne, comment traiter, dans le social et en nous-mêmes, la destructivité toujours à l’œuvre ?

Les thèmes du colloque comprendront donc :

Pensée et parole entre liberté, interdit et inhibition

Les mutations sociétales et leurs effets sur les sujets.

  • Laïcité et spiritualité en démocratie
  • La vie privée et la famille au cœur du débat démocratique

La diversité.

  • L’humanité dans la nature ou à son encontre ?
  • Réflexions autour de la différence culturelle
  • L’indispensable égalité face à ses possibles perversions

Les inégalités sociales et leurs effets psychiques.

  • Autour de la misère
  • Tou-te-s précaires ? Vascillations du sujet en situation de travail
  • Inégalités, discriminations, stigmatisations: la place de l’Autre et ses aléas
  • Être ou devenir dominant-e : jouissances et coûts du pouvoir

La barbarie parmi et en nous.

  • Être citoyen-ne : de l’engagement à l’idéologie
  • Figures de la violence, traitements de la destructivité


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Les communications peuvent être proposées jusqu'au 31 décembre 2015.
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